Bonjour Nuage, qu'est-ce qui parle à travers nous ?
N°39. Langage, IA et évolutions sémantiques
☁️ Bonjour Nuage,
Le langage me fascine.
Depuis toujours.
Il fait passer des émotions, des informations, permet de communiquer des pensées et des besoins.
Mais, ce sur quoi j’aime le plus me pencher, c’est les sens multiples.
La polysémie. C’est cela qu’on dit. Mais j’aime prendre énormément de paramètres en compte. Par exemple le ton employé par la personne, l’évolution d’un mot à travers les âges, les milieux sociaux, les zones géographiques, les langages internet, etc. Tout cela peut radicalement changer le sens d’un mot, d’une phrase, et à terme, peut même avoir un impact sur une langue dans son ensemble. C’est incroyable.
J’ai commencé à m’y intéresser (sans mettre de mots ou de réelles explications dessus au début) enfant, lorsque j’ai réalisé que ce que je disais n’était pas souvent interprété comme je l’avais prévu. Ce que je disais n’était pas compris par les autres. Iels y voyaient un sous-texte alors qu’il n’y en avait aucun, ce que je disais suscitait parfois de la colère, de la frustration et vexation sans que je comprenne pourquoi, et tout cela a donné lieu à un grande sensation de solitude.
J’ai étudié et analysé ces phénomènes dans une dissertation sur “l’esthétique en littérature”. (tu me diras si tu veux la lire) J’y explique que le contexte dans lequel on lit ou visionne une oeuvre joue un rôle crucial dans l’expérience que l’on va en faire : la rencontre artistique. Mais non seulement cela, aussi le vécu de chacun’e qui impacte sa sensibilité artistique. Toutes les sensibilités sont valables et valides bien sûr, c’est simplement qu’on peut les expliquer par la sociologie et la psychologie.
Il y a quelques semaines, j’ai du aborder le langage internet sous l’angle des fanfictions pour mon mémoire.
Et j’ai fait le lien avec les réseaux sociaux (bien sûr) et l’évolution du langage chez les générations dites “chronically online” (on pourrait traduire cela par “accro à internet”, “connecté’e chronique”, etc).
Tu as peut-être déjà vu des gens commenter qu’il faudrait “toucher de l’herbe”, “remettre les pieds sur terre” sous des vidéos de personnes utilisant un jargon incompréhensible (pour qui n’a pas le même algorithme hyper niche) ou développant une analyse digne d’un doctorat sur un scandale TikTok hyper minime.
Les algorithmes nous enferment dans des niches où nous sommes en contact avec notre communauté, notre microcosme H24 7J/7. On développe donc des “inside jokes” (blagues communes et internes), des façons de parler, on détourne des mots qui finissent par rentrer dans notre langage quotidien. Mais, tout cela, est parfois incompréhensible lorsqu’on est confronté’e ensuite ) des gens dans la “vraie vie”. Il devient quasi-impossible de se comprendre d’une communauté à l’autre, car on n’a pas du tout accès aux mêmes posts, médias, vidéos, informations et langages. Pourtant on a l’impression que c’est clair et que notre algo est représentatif de tout le monde, de la réalité.
Mais non.
Un exemple tout bête. Lors d’une soirée tranquille dernièrement, on commence à parler de créer une communauté solidaire pour contrer le système. Donc naturellement, ça part sur les systèmes de domination. Et… Je pensais sincèrement que tout le monde avait au moins une vague idée du fait que tous les systèmes d’oppression sont liés et que le capitalisme nous opprime aussi, qu’il est même souvent considéré comme la matrice de tout cela, avec le patriarcat. Mais en fait, énormémeeeeent de personnes ne font pas le lien entre tout cela, ne pensent pas ainsi. Dans ma petite bulle avec toi, ça m’était sorti de la tête.
C’est bien en un sens, ça ramène brutalement à la réalité haha.
Et c’est hyper important aussi, car on n’arrive à rien en restant dans un entre-soi je pense. Il est nécessaire d’avoir des bulles de décompression bien sûr, pour se reposer et se ressourcer. Mais, cela ne devrait (à mon sens) pas être notre seul lieu d’échanges.
Revenir à une communication IRL (In Real Life) est important.
Et par IRL je dis pas forcément : “en face à face”. Ca peut aussi passer par des échanges par lettres, des longs vocaux, des appels, etc. Mais une communication plus simple, mais aussi plus profonde, sans influence, par l’intermédiaire des algorithmes ou en réaction à un truc qu’on a vu.
Pour matérialiser des collectifs, grandir et évoluer ensemble, diffuser notre façon de penser, mais aussi s’enrichir et s’ouvrir à d’autres façons de faire, ajuster notre modèle pour le rendre plus inclusif, etc.
D’ailleurs, j’essaye de parler aux gens de plus en plus. Sans filtre, sans masque, en étant moi-même pour ne pas me rajouter de stress et de fatigue supplémentaire.
Cela implique tout de même de se lancer uniquement dans des environnements un minimum safe bien sûr.
Je me détache de plus en plus de la petite anxiété qui tourne en tâche de fond et te dis : “ne parle pas de ça tu vas être bizarre”, “souris, non mais pas trop, et regarde bien”, “ah, tu dois rire un peu là”, “tu dois montrer activement que ça t’intéresse”, … Et je me rends compte que, si les gens ont un peu de mal au début, iels s’habituent très bien. La phase de rejet est toujours là parfois, chez certain’es, mais non seulement ça ne m’atteint plus autant qu’avant, mais en plus, elle peut s’estomper avec le temps.
Dans tous les cas, c’est enrichissant et important d’ouvrir un peu ses horizons je pense, lorsqu’on peut le faire.
Parce qu’avec des personnes violentes, haineuses, qui ne veulent rien entendre, bon… T’as compris. Laissons tomber avec elles, ce sera peut-être pour plus tard.
Mais déjà renforcer un peu le tissage social qui nous lie avec les gens de nos communautés, les élargir un peu et les consolider, c’est tant un acte politique (privilégier la communauté à l’individualisme capitaliste, et diffuser ses idées alternatives) qu’une façon de pallier à la solitude qui gangrène notre société, et un exercice sur soi.
Bref, je divague un peu trop là.
Je te parlais à la base de langage internet intra-communautaire.
Et de ce que l’on appelle le “glissement sémantique”.
J’ai la flemme de synthétiser donc voici la définition copiée-collée de Wikipédia : “le fait qu'un mot ou une expression acquiert au fil du temps un sens différent de celui d'origine, ce qui peut donner lieu à des quiproquos ou des incompréhensions entre locuteurs.”.
Ce n’est pas nouveau hein.
On a toujours eu des langages différents entre communautés : entre peuples, continents, ethnies, genre, âge, classe sociale (typiquement le langage bourgeois ou le langage startup qui permet d’enfumer plus facilement les classes moyennes et ouvrières, depuis des siècles).
Mais j’ai l’impression que cela prend une nouvelle ampleur avec internet.
En plus d’avoir ces changements liés au fait que l’on échange de plus en plus dans nos propres microcosmes internet, on adapte aussi notre langage pour être compris par les algorithmes et l’IA (Intelligence Artificielle). On simplifie, on explique nos points de vue de façon polarisée, sans vraiment nuancer, parce que c’est ce qui marche. Les algorithmes mettent en avant ce qu’ils arrivent à catégoriser efficacement. Et puis c’est aussi ce qui rajoute le plus de réactions, on ne va pas se le cacher.
Le cerveau humain de base aime catégoriser pour comprendre les choses. Et ensuite voir comment il se positionne dans ces catégories (ou entre elles).
C’est encore plus vrai pour l’IA qui réfléchit uniquement de façon logique, en identifiant des schémas, sans input d’instinct ou de sentiment, de ressenti.Et je suis bien placé’e pour en parler, étant donné qu’on m’a servi du harcèlement et des insultes plus ou moins psychophobes et validistes toute mon enfance et mon adolescence sur le sujet. Et je peux te dire que l’IA a une logique bieeeen plus implacable et dépourvue d’émotions que moi.
Bref, en changeant notre façon de parler, notre langage, on change aussi petit à petit notre façon de voir le monde et d’exercer notre esprit critique. Ou c’est l’inverse ?
Plutôt : les deux se mélangent. Je ne sais pas trop où commence l’un et où débute l’autre.
Une chose dont je suis certain’e : conserver une véritable ouverture sur le monde est crucial si l’on veut s’en sortir. Et si l’on se donne ce but, le cloisonnement du langage, des pensées, et des gens ne va pas aider.
📰 Quid de toi, p’tit Nuage ?
Comment tu vas toi ? En ce moment.
Vraiment, tu peux te livrer, j’accueillerais ta lettre avec des étoiles dans les yeux.
🕸 Dans notre coin d’internet :
Sur le Patreon, j’ai publié une dissertation analysant le mythe de la tour de Babel justement et plusieurs de ses réécritures contemporaines pour mieux le comprendre, le décortiquer et ouvrir des pistes de réflexions pour mieux comprendre notre rapport au langage actuel.
C’est juste ici !
✨ L’inspiration de la semaine
Je me suis fait une Pile À Lire pour cet été.
J’ai déjà terminé le premier livre en quelques heures, je vous en parlerais bientôt sur Instagram et probablement en vidéo sur le Patreon.
Je te partagerais les livres de ma PAL sur Insta dans les jours à venir aussi !
Passe une bonne semaine, Nuage ☁️