Elle errait.
Flottait.
Depuis un moment déjà, mais c’était difficile à dire pour sûr.
Le temps défilait différemment ici.
Il n’était pas vraiment linéaire.
Il ressassait, nous faisait tourner. Encore et encore. Un peu comme dans une machine à laver.
On était pris dans une bulle temporelle, et on la revivait, on l’explorait, on en épuisait toutes les possibilités. Jusqu’à ce qu’on en soit délivré.
Et c’est ce qui était en train de se passer.
À nouveau.
Pour la troisième fois cette année, elle était retournée dans cette spirale.
La première fois qu’elle s’en était libérée, elle n’aurait jamais pensé vouloir un jour y retourner, surtout de son plein grès. Mais elle avait évolué, et avais compris qu’à chaque voyage dans ce passé hybride, cette dimension à part, elle en ressortait grandie.
Le temps est cyclique.
C’est la première chose qu’elle avait réalisé. Les peuples premiers, depuis colonisés, le disaient, et elle, elle avait pu l’expérimenter. Il y a une différence entre savoir quelque chose parce qu’on nous la dit, et le savoir parce qu’on l’a vu. Elle, elle savait.
Le rythme des journées, des lunes, des mois, des saisons et des années était un grand cercle. À l’image de l’univers qui le créait : les astres tournent sur eux-mêmes et autour les uns des autres.
Cette échelle se déplaçait du grand au petit. Si bien, que même dans l’esprit, les cycles se répétaient et s’entrecroisaient.
La première fois qu’elle s’était extraite d’une spirale donc, elle ne l’avait pas fait exprès. C’est simplement que l’architecture avait décidé de l’expulser. L’avait jugée apte et prête à enchaîner. Elle s’était alors retrouvée dans une autre temporalité. Un peu perdue, mais bien ancrée. Soulagée aussi, en comprenant qu’elle n’était plus bloquée.
Plusieurs années s’étaient écoulées, mais elle n’avait pas eu de mal à les rattraper : quelques mois à tout casser. Le monde, après tout, n’avait pas tant changé.
Enfin, c’était plutôt que… après avoir passé des années à explorer toutes les trajectoires possibles dans sa bulle, elle n’avait eu aucun mal à jauger celle à laquelle ce monde - dans lequel elle avait maintenant été projetée - appartenait. Elle s’y était ensuite adaptée.
Elle n’avait pas tout expliqué à ses compagnons de route.
À son arrivée, elle avait lâché distraitement, au détour d’une conversation, comment elle avait évolué dans sa dimension, ainsi que quelques secrets sur le fonctionnement du temps.
Cela n’était pas passé.
Beaucoup avaient paniqué, et il avait fallu les calmer. Elle n’en avait donc pas vraiment reparlé, à part avec celles qui l’avaient - elles aussi - déjà expérimenté.
Après des années bloquée, à ressasser, explorer et soigner une partie du passé, elle avait pu refaire surface.
Mais elle y était donc retournée. Un besoin d’approfondir encore, avec un nouvel oeil, d’aller un peu plus loin et d’examiner les autres facettes de cette temporalité s’était fait ressentir. Pour mieux prendre du recul ensuite.
Alors elle avait plongé.
Refait surface à nouveau.
Repris sa respiration quelques instants, avant de se submerger encore.
Car cette fois-ci, pas question de s’abandonner. Elle ne voulait pas s’y installer, commencer à y respirer, et puis oublier. Oublier qui elle était, où elle était, ce qu’elle était venue y chercher, et surtout, oublier de revenir. Se retrouver coincée. À nouveau. Pendant des années.