L’eau sillonnait entre les roches de la crique. Elle était calme, agitée seulement par de petites vaguelettes de temps à autre.
“Rien à voir avec celles de chez moi” ne put-elle s’empêcher d’observer silencieusement.
Le bruit, lui, était similaire quoique moins puissant. Sous le clapotis de l’eau autour de cailloux, on retrouvait ce grondement cyclique et familier. Celui des remous de l’océan qui, lorsqu’on y réfléchit, ne fait en réalité qu’un.
En son coeur, il reste le même, qu’importe où l’on est.
C’est cette réalisation nouvelle et réconfortante qui permit au grondement de l’eau de venir faire vibrer son coeur.
Des larmes d’émotion lui montèrent : elle avait retrouvé ici un bout de chez elle.
Une falaise couverte d’arbres comme ceux que l’on voit sur National Geographic, dans les reportages sur la savane, plongeaient dans la mer sur la gauche. Elle venait à peine de la remarquer.
Une libellule géante entra dans son champ de vision. Était-elle vraiment énorme ? Dur à dire.
“En réalité, je crois que je n’ai jamais vu de libellule” se dit-elle, “mais celle-ci avait l’air grosse”. “Un bel insecte en tout cas”.
La plage était déserte. À l’exception d’une personne allongée loin du rivage, et qui semblait dormir, recouverte d’un drap de plage. Sans doute pour ne pas cramer.
“J’étalerais de la crème solaire après”.
Elle s’avança vers le centre de la plage pour admirer l’eau claire et transparente qui lui faisait face. Vraiment l’idéal pour explorer avec un masque de plongée.
Elle n’en avait pas amené.
Maintenant perchée sur un rocher au bord de l’eau, elle sautilla de caillou en caillou pour s’avancer au bout de la jetée naturelle qui semblait se former.
De temps en temps, sa main s’abaissait pour recueillir en son creux un petit trésor. De toutes tailles, couleurs et formes, partout où elle allait, lorsqu’elle voulait former une connexion avec un lieu, elle ne pouvait s’en empêcher.
Cueillir des cailloux.
D’une chose que tous les enfants faisaient, c’était devenu, une fois adulte, un comportement tourné en ridicule mais dont elle refusait de se débarrasser.
Pour se rappeler d’un endroit pleinement, il ne suffit pas de l’arpenter. Il faut s’y immerger. Interagir avec ses composantes de façon presque cellulaire. Mêler nos molécules à celle de la nature. Nous harmoniser à elle. C’est ce qu’elle faisait. Par le toucher, la vue, l’odorat, le mouvement, les sensations et l’émotion. Tout cela débloquait en elle un niveau d’expérience intime et profond. Elle se liait presque d’amitié avec ces éclats de rochers.
En habitant son corps, elle habitait le monde. Elle s’ancrait. Elle vivait.
Souvent, lors d’expériences vraiment intenses, elle s’immobilisait et transférait toute son énergie et son intention dans la prise de photos. Pendant quelques instants, elle multipliait les clichés, comme si elle tentait - par je ne sais quelle magie - de capturer non seulement l’endroit mais aussi les sensations et émotions qu’il lui avait procuré. Elle voulait transférer dans une image développée chaque respiration, texture, bruissement et palette de couleur que son corps avait capturé. S’en emparer, à jamais. S’en imprégner. Infuser.
C’était ce qu’elle faisait en ce moment même. Perchée sur le rocher le plus éloigné du rivage. L’objectif rivé tantôt sur ce qu’il se passait à ses pieds, tantôt sur l’horizon. En pleine hésitation, elle ne savait pas quelle vision unique elle devait immortaliser.
Minuscule devant la beauté et l’immensité de la nature, elle se sentait chez elle. Sur la bonne planète. Émerveillée par toute cette beauté.
En disséminant les cailloux de ses poches dans l’eau pour n’en garder qu’un, elle songea avec un sourire libre et serein : “j’ai vraiment bien fait”.
Serrant le caillou élu dans le creux de son point, elle enfoui sa main dans sa poche et tourna le dos à l’océan pour rejoindre le sentier du retour.
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