- Tais-toi, arrête de gigoter
- Tu ne peux pas t’asseoir un peu calmement pour une fois ?
- Ne touche pas à ça
- C’est fou de ne pas pouvoir rester à ne rien faire comme ça
- Ça suffit maintenant
Puisque c’est ça, je vais tenter de tout stopper. Au moins quelques heures, le temps du trajet. Peut-être que j’apprendrais quelque chose qui sait. Et j’espère aussi qu’ils s’en mordront les doigts, ce sera bien fait.
Je vais commencer par arrêter de parler.
Les premières minutes sont difficiles : j’ai envie de partager ma joie, mon enthousiasme et la myriade de commentaires qui viennent à l’esprit en regardant la route défiler par la fenêtre. J’ai même pu apercevoir une vache brouter dans le champ d’à côté. Le monsieur qui nous a dépassé mangeait une glace au volant, pendant que son passager fumait, vitre baissée. Les tirets blancs peints le long de la route s’enchaînent à toute vitesse, j’ai imaginé un petit personnage qui saute de l’un à l’autre. Ses jambes s’agitent à toute allure. J’ai un peu faim. Et maman a un cheveu blanc derrière l’oreille droite. Il est emmêlé dans sa boucle d’oreille.
Mais je ne lui dirais rien.
Je garde tout à l’intérieur.
Arrêter de bouger maintenant.
Compliqué.
Les pensées que j’empêche de sortir par ma bouche se réfugient dans mes nerfs. Elles forment une boule d’énergie à l’intérieur de mon plexus solaire. C’est peut-être pour cela que les grands ont décidé de l’appeler comme ça. Est-ce sa fonction principale ? En tout cas moi, je viens de créer un petit soleil en cet endroit.
Il n’est pas immobile comme celui qu’on voit dans le ciel.
Le mien bouillonne, se tord, pulse et bute parfois contre les parois de mon thorax. C’est inconfortable et je sens ma mâchoire se serrer. Tout mon corps semble se rigidifier pour mieux absorber les impacts de cette boule de feu qui ne cesse de s’agiter. Ses particules tournent sur elles-mêmes. De plus en plus vite et la chaleur causée par leurs frictions augmente.
Mais je dois arrêter de gigoter. Je joins mes mains pour empêcher mes doigts de tressauter. Je replie mes jambes en tailleur pour garder le contrôle de mes orteils. Le poids devrait les maintenir en place. Je me retiens très fort d’exercer un léger mouvement de balancier avec mes genoux. Faire le papillon. Il ne faut pas.
Je garde tout.
C’est bien.
Passons à mes yeux.
Les garder fixes. Ce sera de toute façon bien plus simple de limiter mes pensées si je n’ai plus rien à regarder. Quoi que.
Essayons.
C’est intéressant, on dirait que je peux flouter certains endroits de ma vision sur demande. Mon cerveau répond à toute sollicitation, il est hyper-connecté peut-être en ce moment. Je viens de découvrir quelque chose. Un véritable appareil photo. Je peux faire la mise au point et jouer avec le zoom je crois. Vraiment pas mal tout ça. Même rendre les contours noirs tiens, comme les anciennes photos dans les albums de mamie.
Laissons-les flous pour l’instant.
Je me sens apaisée. Plus rien ne bouge.
Rien ne rentre et rien ne sort. C’est un nouveau super-pouvoir.
Je ne sens plus vraiment mes mains ni mes pieds. Je ne sais pas où je les ai déposés. Ne surtout pas regarder, je sens que j’en perdrais l’effet et nous mes efforts seraient gâchés. Mais mon cerveau sait où mes membres sont. Si je pense à mon pied, la zone associée s’allume dans mon cervelet. Les deux sont connectés. Je pourrais presque relier les deux et arriver à retracer le chemin nerveux par lequel elles communiquent, mais ce sera peut-être pour une prochaine fois. Ça me semble trop avancé pour l’instant.
Un rideau se tire sur mon cerveau. Ma vision s’obscurcit et j’ai l’impression de m’enfoncer. De reculer plutôt. Que l’on me soustrait à la réalité. Une autre semble se présenter à moi. Je pourrais la goûter. Elle est à peine un peu trop loin. Je n’arrive pas encore à la toucher.
J’ai quasiment la sensation que j’ai arrêté de respirer.
Mais non. Imperceptible. Je sens l’air entrer et sortir lentement et silencieusement. Ma respiration est tellement légère.
Je crois que si j’y réfléchissais assez fort, je pourrais arrêter progressivement de respirer.
En ai-je seulement besoin ?
Je vais essayer.
Si les histoires de Brume te plaisent, partage en une à un ou deux ami-es.
Un “pouce” aide aussi beaucoup à me rendre compte que cela est lu et aimé.
Tu peux aussi partager le lien en story en taguant @bonjour.nuage !