Il errait sans réel but. Passait devant des groupes, ou des personnes isolées, adossées aux murs. Parfois assises.
”Tenir les murs” qu’on disait qu’elles faisaient. De façon ironique et moqueuse souvent.
Mais, objectivement, c’était ce qu’il se passait.
Elles tentaient de repousser les murs. De les écarter, pour se faire une place accueillante. Pour se créer un endroit où se rencontrer, discuter, et échanger.
Un endroit pour partager.
Mais ils n’en avaient pas.
Seulement ces coins de rues inhospitaliers.
C’était par là qu’il marchait.
Plutôt que d’attendre, adossé contre du béton armé, il avait fait le choix de marcher.
Préférer l’action à l’immobilité.
Il croisait des gens comme lui.
Mais eux, arpentaient les rues dans un but différent : celui de consommer. Il le voyait à leurs figures déterminées, et souvent, leurs sacs déjà remplis d’objets.
C’était les choix qui nous étaient offerts désormais. En l’absence de point de rencontre digne de ce nom, sortir de chez soi signifiait consommer, s’enraciner comme des mauvaises herbes le long des murs, ou, comme il avait décidé de faire depuis ce matin : errer.
Du temps où il y avait des cafés, des bibliothèques, et des parcs, se rassembler à l’extérieur était plus simple et bien plus joyeux. Mais tout avait été rasé. À la place, on avait placé des barres d’immeubles, des fermes solaires et des entrepôts à purificateurs d’air. Les quelques établissements qui étaient restés avaient fini par fermer, incapables de faire face à ces changements de priorités.
-Si tu cherches l’ancien bouquiniste, il n’est plus là.
Un autre individu venait de l’interpeller, au virage d’un trottoir.
Comment avait-il fait pour ne pas l’apercevoir, on pouvait se le demander, car l’espace pour marcher le long de la route était si étroit par endroits, qu’on était obligés d’y passer de côté. Néanmoins, il arrive parfois que l’on soit extrêmement absorbé dans ses rêveries donc pourquoi pas.
Il se ressaisit et répondit donc :
-Je sais bien. Ça fait au moins 15 ans qu’il n’est plus là.
L’homme, en équilibre sur une corniche formée par le trottoir le toisa et plissa les yeux avant de lui répondre.
-Alors là pas du tout. Il a déménagé la semaine dernière.
Notre protagoniste principal leva les yeux au ciel.
-Es-tu seulement au courant de ce qu’il se passe ici ? Où n’es-tu pas sorti de chez toi depuis l’Élection ?
Il continua de maugréer dans la barbe qu’il n’avait pas - seule une petite moustache éparse et rectangulaire réussissait à pousser sur son visage - “vraiment n’importe quoi celui-là. Un bouquiniste par ici, non mais vraiment”.
-Bah si, j’étais à la réunion de lecture qu’il a organisé il y a deux jours. Puisque l’endroit avait changé on était nombreux à être arrivés en retard. Mais on a réussi à passer un bon moment quand même et à partager nos impressions dans les temps.
Plissement des yeux à nouveau. Notre héros le regardait maintenant d’un air désintéressé, comme on regarde quelqu’un qui débite des âneries et dont on n’attend que de se séparer.
L’inconnu haussa les épaules :
-Pensez ce que vous voulez.
-Je trouve cela juste aberrant qu’il y ait un bouquiniste dans cette rue alors que j’y passe régulièrement.
-Il a déménagé je vous ai dit, maintenant c’est un cinéma qui va s’installer ici apparemment. Je trouve ça sympa.
Maintenant exaspéré, il leva les bras sur les côtés et marmonna :
-Ah bah voilà un cinéma maintenant. Et pourquoi pas un café-bistroquet dans la rue d’à côté.
-Hm non. Je n’en connais pas.
-Bah voilà.
-Par contre il y’en a un qui fait du café et des crêpes à l’heure du goûter. Dans le quartier d’à côté, juste après le mini-golf.
Interloqué, son sifflet était coupé. Il le fixait maintenant, les yeux écarquillés.
L’autre continua alors :
-Je pourrais vous y emmener si vous le voulez.
Silence.
-Je dois y retrouver Fédé. C’est un ami qui y va souvent.
Peut-être était-il fêlé, mais c’était aussi une rare chance de retrouver cette vie de quartier dont laquelle il rêvait depuis maintenant des années. Il se décida donc assez rapidement et répondit enfin par un éloquent :
-OK.
-Magnifique ! Allons-y gaiement alors, suivez-moi.
Ses pieds se mirent en marche. Il sillonna entre les rues en essayant de suivre son guide qui pressait de plus en plus le pas. Il semblait excité et son impatience se ressentait. Soudainement, il s’arrêta net, appuya son épaule contre un mur tagué puis déclara :
-On est arrivés.
Notre protagoniste, un peu déboussolé, décida de l’imiter.
Il y était…
Adossé à un mur, il regardait maintenant avec étonnement des gens, qui, comme lui, s’apprêtaient à deguster leurs crêpes et tasses de café. Certains étaient assis dans des chaises dépareillées. Peut-être était-ce eux-même qui les avaient ramenées, qui sait.
Le doux murmure des conversations était rythmé par quelques rires, toux et par le volet de la fenêtre qui, montait pour que la dame puisse annoncer : “et une crêpe pour Fédé !”.
Fédé ?
C’était l’ami de l’inconnu, qui ne l’était d’ailleurs plus ; il venait d’arriver.
Un éléphant tacheté avec un sourire éclatant et des mocassins aux pieds.
Plus rien ne l’étonnait maintenant, et notre héros nota la nature du nouveau venu avec un haussement d’épaules.
Il mordit dans sa crêpe. Les saveurs lui explosèrent en bouche. Les grains de sucre fondaient sur sa langue et le goût de la vanille le fit fondre. Il regarda autour de lui, ses voisins lui souriaient.
Il renvoya un sourire crispé puis se remit à manger. Il ne lui restait plus qu’à accepter cette nouvelle réalité.
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