Quitter le village de ses parents lui avait arraché des larmes. Sa mère dont le sourire tremblotant ne faisait que menacer ses yeux - déjà bien embués - de déborder. Son oncle, lui, ne retenait plus la cascade qui dégringolait le long de ses joues depuis le dessert.
Le dernier repas ensemble avant un long moment - ressentit comme une éternité - c’était sa certitude. Partagé par toustes.
La forêt tant aimée auprès de laquelle ile avait grandi s’étendait derrière les êtres qui l’avaient élevé. Ensemble, aligné’es face à ellui.
Lentement, ile commença à vider ses poumons. Le plus possible, puis à les re-remplir en une longue inspiration. C’était un rituel qui s’était ancré en ellui depuis plusieurs mois maintenant. Depuis l’annonce de son départ. Un livre lui avait appris que la plupart des respirations quotidiennes étaient superficielles, et qu’il restait donc toujours un peu d’air oublié dans les poumons. Comme errant dans le fond.
Peut-être que grâce à cela, ile emporterait un peu d’air de la forêt avec ellui.
Ile était prêt.
Lorsqu’ile franchit la lisière de la forêt, ile eu l’impression d’être écartelée. Son âme était aimantée à la forêt, elle tentait de rester accrochée aux branches auxquelles elle était reliée. Le pas qu’ile du faire pour rompre la connection lui demanda de puiser jusque dans ses réserves profondes.
Quelque chose allait lâcher.
Haletant, trempée de sueur et le corps grelottant de fièvre, son corps tomba dans un paillasson de fleurs sauvages.
Son coeur était déchiré. Sans bouger, sur le ventre, ile le sentait presque se détériorer.
Après de longues heures, ile leva vers l’horizon son visage maculé de larmes séchées. Se frotta le visage vigoureusement de sa manche, puis se remit en marche.
Son oncle l’avait prévenu : le paysage changerait radicalement une fois passée la colline. Pourtant, la végétation s’estompait déjà après quelques heures de marche dans la plaine. Quelques boîtes circulaires en métal semblaient avoir été abandonnées dans des buissons. Des rubans blancs aussi, tantôt par terre, tantôt piètrement dissimulés par des brindilles et feuilles mortes.
Le miasme avait certainement du faire son oeuvre depuis la génération précédente. Ile en apercevait des volutes s’élever, et la source semblait bien se situer derrière la colline.
La vision qui l’attendait en haut du mont lae cueilli à l’estomac. Elle acheva de lui piétiner l’âme. Une boule d’acide se forma dans sa cage thoracique, menaçant de dissoudre son esprit.
C’était un cauchemar.
Une douche de désespoir s’abattit sur ellui. Persistante et pénétrante.
Ile expira profondément pour se donner une consistence. Inspira.
Que pouvait-on faire ?
Le nuage sombre se dressait devant lui, à perte de vue. Il enveloppait les sommets des immenses constructions dans lesquelles on ne pouvait même pas distinguer les gens. Quelques étincelles s’échappaient de certains toits, et la fumée avait par endroits des flambées incandescentes.
Les astres n’étaient plus visibles et ile se demanda comment les êtres vivants pouvaient vivre et s’harmoniser à leur environnement sans.
Après quelques mois passés dans la ville, ile eu sa réponse : iels ne vivaient pas, mais survivaient. L’harmonie avait disparu et rien ne comptait plus que l’expansion. Les vies étaient piétinées.
Tout espoir avait disparu.
Son teint était devenu gris, comme les humains parmi lesquels ile évoluait désormais. Les cheveux brisés et empoussiérés. Les yeux mornes, l’étincelle qui auparavant les habitaient était sur le point de trépasser. Elle avait commencé à s’éteindre en haut de la colline et la maîtrise qu’ile avait sur son corps s’en ressentait. Ile dépérissait de jour en jour, mais refusait de renoncer.
Comment faire comprendre à des êtres qui avaient grandi au milieu du métal et du béton la catastrophe qui se profilait ? Comment leur faire entendre raison ? Il semblait impossible de partager avec elleux une crainte et une nostalgie pour quelque chose qu’iels n’avaient jamais connu. La forêt et son énergie étaient des concepts trop abstraits à leurs yeux. Iels n’avaient aucune conscience de ce qu’il se passait en-dehors de leur communauté. Leurs préoccupations étaient différentes, et leurs horizons s’arrêtaient à ceux qu’iels voyaient. Sans malice ni méchanceté, juste par facilité.
C’est en comprenant cela que l’idée naquit. La famille fut au début réticente, puis, face au désespoir et la détermination de leur enfant, se laissa convaincre.
Ile s’agissait maintenant d’en amener quelques uns. Un petit groupe seulement. À la lisière de la forêt. Leur montrer. Qu’iels voient le désastre que leur espèce était en train de causer. Rendre compte de leur volonté de garder leurs yeux fermés.
Puis, de les pousser à faire le pas. Franchir la frontière. Vers les arbres centenaires resserrés. Les y leurrer.
Pour qu’iels n’en ressortent jamais.
Leur sacrifice sauva la forêt. Il amassa l’énergie nécessaire qui, lors du rituel annuel, permit de générer la bulle protectrice qui s’étirait maintenant autour des feuillages. Les arbres et autres êtres qui les peuplaient étaient sauvé•es.
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