Bonjour Nuage, l'écologie peut-elle être glamour ?
N°32. Mode éthique, reprise et rencontre esthétique
☁️ Bonjour Nuage,
Ça fait longtemps non ?
1 mois tout pile en fait.
Entre temps tu as eu deux hors-série audio et vidéo, mais je conçois que ce n’est pas pareil.
Après tout, c’est un autre format. Et moi-même j’ai conçu ces hors-série différemment, pour que ce soit complémentaire, que ça nous apporte autre chose, sinon cela n’avait aucun intérêt.
D’ailleurs, si tu les as écoutés, qu’en as-tu pensé ?
En tout cas, voici le retour des lettres hebdomadaires Bonjour Nuage.
J’espère que tu vas bien.
As-tu fait “ce qu’il te plaît” durant ce mois de Mai ?
De mon côté, il s’est passé énormément de choses. Cela a été très riche et j’ai l’impression qu’il s’est écoulé bien plus qu’un mois.
Peut-être que c’est important et nécessaire de faire des pauses dans notre correspondance de temps en temps. Ça permet de prendre du recul, et de se rendre compte de la progression non ? En tout cas, j’ai trop de choses à te dire maintenant.
C’est excitant.
Un peu comme quand tu ne vois pas quelqu’un pendant plusieurs jours alors que vous vous voyez normalement quotidiennement.
Se séparer pour mieux se retrouver en quelques sortes ?
J’y vois bien plus clair dans l’orientation que j’ai envie de me donner. De comment je veux écrire et la place que je veux que cela prenne dans ma vie. Tout est bien plus équilibré et rangé dans ma tête : entre Le Placard d’Âme sur Instagram, le blog (que j’ai d’ailleurs tout refait), Bonjour Nuage et les Archives du Nuage sur le Patreon.
Mais je t’expliquerais une autre fois si tu veux.
Là, je sors d’un appel avec Claire. Tu sais, ma copine journaliste qui tient le podcast Coutures Apparentes ? Elle y parle de mode responsable et de féminisme. On avait collaboré sur plusieurs épisodes et articles qu’elle propose en tant que pigiste.
Elle a un article à rendre pour Marie-Claire cette semaine, sur l’inclusivité et la diversité dans la mode éthique.
Et on a un peu parlé du fait que plusieurs marques se disant “éthiques” sont destinées à une clientèle de femmes aisées, blanches, minces etc. Qu’elles manquent donc parfois cruellement de représentation et d’inclusivité, et ne souhaitent pas non plus changer car cette clientèle leur permet de faire leur chiffre.
Cette démarche est, non seulement pas très responsable car on reste dans une logique de sur-consommation (genre acheter toutes les mailles Sézane à chaque nouvelle collection), mais en plus pas vraiment écologique car pas engagée sur le plan social.
Elle m’a ressorti ces deux citations que j’aime beaucoup :
“L’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage” de Chico Mendes.
Et elle m’a dit que le jardinage c’est sympa en soi, mais le but final est différent quoi.
Et, “Le féminisme sans lutte des classes, c’est du développement personnel”, il me semble que c’est de Nancy Franser mais pas sûr…
Mais en soit, lorsque l’on y réfléchit, d’un point de vue business cela semble “logique” pour les marques. Déjà que les marges en mode éthique sont faibles par rapport au luxe ou à la fast-fashion, elles s’assurent leur chiffre en capitalisant sur une clientèle privilégiée.
Le souci, est que cette clientèle aisée est la seule visée, et qu’on ne cherche pas non plus à la sensibiliser. Car c’est inconfortable pour elle de se “déconstruire” et remettre en question ses privilèges. C’est tout le concept de “fragilité” blanche, masculine, etc.
Et aussi d’élitisme. Quelque chose qui est présent partout en raison du système capitaliste qui est le nôtre, mais aussi spécifique à la France car nous aimons fonder notre image sur le côté intellectuel, élite bourgeoise. Et ce depuis des siècles. Ça remonte aux philosophes des Lumières, mais même avant avec la monarchie et la Cour française très prestigieuse.
Tout cela repose sur un principe d’exclusivité. Il n’y a plus d’élite si tout le monde est lae bienvenu.e.
L’élite ne veut pas se mélanger.
Elle m’a parlé de la stratégie qui est de “glamouriser” la mode éco-responsable pour la faire connaître et sensibiliser sur l’écologie et les luttes sociales.
Néanmoins, pour moi, comme je lui ai dit, placer “écologie” et “glamour” ensemble est un oxymore. La notion de glamour provient de la culture classiste et élitiste.
Une personne pauvre ne peut pas être glamour même si elle tente d’adopter certains codes “glamour”, elle sera juste “vulgaire” ou “bling-bling”.
Ainsi, parler de glamouriser l’écologie, semble utile à première vue, mais contre-productif si cela participe juste à renforcer un système classiste, raciste, sexiste, et j’en passe. En tout cas, si le côté glamour est une porte d’entrée, cela ne peut pas être une finalité si l’on veut réellement changer les choses.
Et donc les marques dites “éthiques” qui décident de capitaliser sur cette clientèle privilégiée et exclusive, ne peuvent pas trop aller dans une inclusivité radicale. Sinon, elles prennent le risque de perdre leur clientèle aisée qui veut l’exclusivité et le confort de ses privilèges. Et sans l’argent de cette clientèle, il est plus dur pour une marque générer du profit et survivre.
On se retrouve alors dans un engrenage. On se dit éthique, écologique et responsable, mais en même temps on perpétue une forme de domination de classe, de race, de genre, etc.
C’est compliqué.
Tu vois ce que je veux dire ?
Je pense aussi à la disparition de nombreuses marques réellement éthiques et engagées ces derniers mois.
Dur de rester à flot dans un contexte de crise économique lorsque ta clientèle est issue de la classe moyenne ou précaire. Car oui, diversifier sa clientèle pour inclure des personnes marginalisées, c’est potentiellement perdre des clientes aisées pour gagner des admirateurices qui ne pourront pas nous payer.
Et puis, il y a un phénomène de société aussi qui joue.
J’en avais parlé avec Clée (ratonrêveur sur Instagram) après que Minuit sur Terre, la marque de chaussures véganes, ait annoncé être en galère et menacée par la faillite.
En plus du contexte économique actuel, deux autres choses sont, à mon sens, à prendre en compte :
Déjà, le modèle d’une marque réellement responsable repose sur la sensibilisation au “consommer moins mais mieux”. Et donc, si ta clientèle veut moins consommer, tu vends moins. Ça veut dire moins de chiffre. Ton succès dépendra alors de ta capacité à élargir ta clientèle. Et il faut les trouver les gens qui s’intéressent à la consommation responsable et végane, et qui ont les moyens de le faire.
De plus, les marques de mode éthique abouties vont proposer moins de collections pour ne pas pousser à la sur-consommation et la sur-production. Elles vont aussi éviter de suivre les tendances. Donc moins de choix, moins de couleurs, moins de motifs.
Dans un contexte social où aujourd’hui, on veut exprimer son individualité unique via ses vêtements, où on ne veut pas ressembler aux autres, où on veut se démarquer, les basiques proposés par les marques de mode éthique (même si elles proposent de plus en plus des choses originales) ne répondent pas aux envies des consommateurices.
On se tourne plus vers les friperies car ce sont des pièces uniques, en plus d’être moins chères.
Tout cela joue. Et les marques de mode réellement engagées en pâtissent.
On pourra parler une prochaine fois de cette envie d’exprimer son individualité et se distinguer des autres via notre apparence une prochaine fois car c’est un sujet très intéressant. Il est étroitement lié au système capitaliste qui incite à montrer notre valeur ajoutée et notre supériorité sur les autres, mais aussi, paradoxalement (ou pas ?), au besoin de se révolter contre une société capitaliste standardisée et uniformisante.
Mais cette lettre de reprise est déjà assez longue et je ne voudrais pas qu’on se perde.
📰 Quid des Brioches ennuagé-es ?
J’ai pris le temps de répondre à tous vos emails en réaction aux lettres précédentes. Merci pour nos échanges ! D’ailleurs, je serais curieuxse de savoir à quoi vous occupez vos journées, quels sont vos loisirs, votre entourage et votre métier éventuel ? Si cela vous dit de partager, la boîte est ouverte.
J’ai reçu une question intéressante aussi de l’une d’entre vous. J’ai eu un peu de mal à la comprendre au début et ai donc mis pas mal de temps à faire un retour. Mais ça a donné un truc chouette au final !
C (prénom anonymisé) m’a parlé d’Avatar 2 et du syndrome de “nostalgie et dépression post-Avatar” dont quelques médias ont parlé. Elle me demandait quels liens on pouvait faire entre médias de communication et émotions/santé mentale.
En fait, lorsque l’on parle d’art, arrive forcément la notion d’expérience esthétique. C’est dans celle-ci que l’on va retrouver les émotions provoquées en nous par l’oeuvre, de quelle façon elle nous touche. Et, tout cela est fortement lié au contexte dans lequel on va faire l’expérience de l’oeuvre : visionner un film sur un smartphone dans le métro ne débouchera pas sur la même expérience (et donc pas le même ressenti) que le visionner dans une salle de cinéma sur grand écran, ou dans notre chambre cosy entouré-e de nos peluches. Tu vois l’idée ? L’imaginaire collectif, l’imaginaire individuel et notre vécu vont aussi jouer.
L’impact d’une oeuvre sur les masses dépend donc de tout ce contexte-là. Passionnant non ?
Si tu veux creuser, j’ai rédigé une dissertation sur la rencontre esthétique en littérature (avec plusieurs exemples et sources) en prenant comme point de départ un conte de Perrault. Elle est à lire sur le Patreon juste ici.
🕸 Dans notre coin d’internet :
Ce post poétique sur Instagram concernant la nature du Nuage.
Un essai réflexif et explicatif sur le genre en Afrique pré-coloniale disponible sur le Patreon.
j’ai récemment activé une nouvelle fonctionnalité pour mon Patreon : vous pouvez bénéficier de 7 jours gratuit sur n’importe quel abonnement à mon contenu, et ce sans engagement. Si cela vous dit d’en profiter, allez-y :)
✨ L’inspiration de la semaine
J’ai réécouté Manu Chao. Cela faisait longtemps. Est-ce que toi aussi ta/ton prof d’espagnol vous l’avais fait étudier en cours au collège ?
Les morceaux que je préfère usent beaucoup d’allitérations et de motifs de répétition en rythme. Je n’avais pas trop réalisé avant que c’était une réelle source de plaisir et de stimulation positive pour moi. Une véritable inspiration pour mes prochains écrits et poèmes.
Passe une bonne semaine, Nuage ☁️
Ce mois-ci, Bonjour Nuage est soutenu par FairyTale. La marketplace féérique et engagée de mode éthique ! Cliquez ici pour la découvrir.
Bonjour Âme, contente de retrouver tes lettres en ce lundi matin ☁️ Mon mois de mai n’a pas été des plus évidents, mais au moins il fait beau et ça éclaire les journées 🌞
Ça m’a toujours un peu gênée aussi, ces marques qui se disent éthiques mais qui ne se font représenter que par des femmes blanches, minces (et souvent assez aisées financièrement) et qui capitalisent sur cet archétype de la « parisienne stylée ».
Et du coup, ça me rend aussi malade de voir toutes ces marques qui font les choses bien jusqu’au bout mettre les clés sous la porte parce qu’elles ne tiennent pas le coup... Je me questionne de plus en plus sur comment consommer de manière vertueuse pour sortir de ce système capitaliste, et en même temps, soutenir ces marques qui en valent la peine. Parce que, qu’on le veuille ou non, actuellement, c’est ce système qui est présent. Certaines personnes critiquent les positions des « influenceureuses green » qui font des placements de produits de marques éthiques, et je comprends le contraste, mais en même temps, ces marques ont besoin de cette visibilité pour ne pas sombrer car, comme tu l’as bien dit, elles ont besoins de plus de consommateurices. Bref, c’est une réflexion assez complexe mais super intéressante que tu nous proposes, comme d’hab!
Contente de te relire :)