Bonjour Nuage
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l'intersectionnalité n'est pas un type de féminisme, c'est une nécessité
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l'intersectionnalité n'est pas un type de féminisme, c'est une nécessité

Comprendre l'intersectionnalité et pourquoi elle fait peur

Il y a encore quelques mois, dès qu’on parlait d’intersectionnalité, on devait s’attendre à ce qu’une partie des gens se saisissent de leurs fourches et et nous sautent à la gorge en hurlant “putain de wokiste”.

Bon j’exagère.

Mais, quand on voit les unes de Valeurs Actuelles et Marianne, on n’est pas si loin finalement.

J’ai l’impression que ça a changé depuis quelques semaines parce que tout le monde est occupé par la réforme des retraites, et parce qu’iels se rendent aussi compte qu’on a intérêt à appréhender le tout de façon globale, intersectionnelle, et de s’allier entre minorités / groupes marginalisés.

Alors il est temps de définir ce qu’est l’intersectionnalité.

C’est quoi l’intersectionnalité ?

D’après le site et média Tilt, c’est c’est une notion sociologique qui désigne la manière dont les différentes formes d’oppression comme le racisme, le sexisme, le classisme, le validisme, l’homophobie, la transphobie, et d’autres, s’articulent et se renforcent mutuellement.

Qu’est-ce que ça veut dire ?

Que tout est lié.

Que tous les systèmes d’oppression qui constituent notre société actuelle sont construits de la même façon, ont la même base, et s’entrecroisent.

Cela veut aussi dire que des personnes, de par leur simple existence, se retrouvent au croisement de plusieurs de ces systèmes d’oppression. Qu’elles sont concernées par plusieurs systèmes et que, là où ces systèmes se croisent, se superposent, cela créé des nouvelles formes de domination.

Je vous mets le schéma que j’ai déjà partagé sur Instagram pour illustrer cela.

Vous voyez ici comment ça marche.

Une femme cis et blanche vivra une misogynie qui sera différente d’une femme cis qui est aussi concernée par le racisme, d’une femme trans non concernée par le racisme, et encore différent d’une femme trans et racisée.

Et tous les autres systèmes de domination peuvent se rajouter : classisme, validisme, psychophobie, colorisme etc.

Et même si on change d’espèce vivante. Les vaches femelles par exemple, vivent un spécisme différent des vaches mâles (des taureaux quoi) puisqu’elles sont utilisées pour leur utérus par exemple en étant régulièrement inséminées. Pareil pour les poules qui font des oeufs, donc les poussins femelles sont gardées alors que et les poussins mâles qui sont directement tués pour faire des nuggets par exemple.

J’élargis vraiment pour que vous captiez l’idée là. Mais voilà.

Origines

Le terme d’intersectionnalité a été théorisé en 1989 par l’universitaire afro-féministe Kimberlé Crenshaw. À l’origine c’était pour parler spécifiquement de l’intersection entre racisme et sexisme que subissaient les femmes afro-américaines. On a déjà parlé des vagues féministes dans un autre essai. Donc je ne vais pas m’éterniser, mais c’était à l’époque où on parlait beaucoup d’afro-féminisme et de la nécessité d’inclure le vécu particulier des femmes noires, queer, et autres dans les luttes féministes.

Aparté : les études et perspectives intersectionnelles n’ont pas attendu le mot et Kimberlé Crenshaw pour exister (en Amérique du Sud notamment). C’est simplement que l’invention du mot a permis de porter cette façon de penser nos luttes sur la scène internationale.

Aujourd’hui, l’intersectionnalité désigne tous la prise en compte de tous les systèmes de domination (le plus possible en tout cas) dans les luttes sociales et féministes, et non plus “juste” racisme et sexisme.

La vague woke dans les médias : une menace ?

Aujourd’hui, en France, les réacs s’insurgent contre l’intersectionnalité et la pensée décoloniale au même titre que les réacs s’insurgent contre le wokisme aux USA.

C’est le même phénomène.

Car le wokisme c’est l’intersectionnalité. Cela désigne le fait d’être “woke”, d’être éveillé-e. D’être conscient-e de l’existence des différents systèmes de domination en oeuvre et de leur croisements.

Et iels en parlent comme quelque chose de ridicule, voire de dangereux, dans l’objectif de décrédibiliser les luttes sociales. Pourquoi ? Car iels ont peur du démantèlement possible du système qui les privilégie et privilégie leurs familles, leurs communautés, depuis longtemps.

Perdre ses passe-droits, se remettre en question, ça fait peur.

Du coup, dans certains médias, l’intersectionnalité et le wokisme est associée à un champ sémantique très reconnaissable : celui de l’excès. Car les excès sont réprouvés dans notre société occidentale. Ils sont associés au péché et à la féminité. Double peine.

On retrouve des mots comme : obsédé, communautaire, interdiction “on peut plus rien dire”, panique, gauche radicale, idéologie, résister, guerriers de la justice sociale, intolérance, ostracisme, fanatisme. Mais on mise aussi sur la peur de l’étranger : importer des concepts américains, infiltrer, influencer, colonise (le toupet), identitaire, etc.

Au-delà de la mauvaise foi (qui est un concept subjectif finalement), on peut pointer du doigt une certaine hypocrisie puisqu’elleux sont tout aussi coupables d’excès, de repli sur soi, de panique, et surtout, de violence.

Classe, genre, race et handicap

Au vu du contexte actuel, j’avais envie de m’attarder sur le classisme.

En France, les études centrées sur la race sont interdites au nom de l’universalisme et de l’idée que “la race n’existe pas”. Ils auraient peur de jeter de l’huile sur le feu.

Sauf que ce n’est pas parce qu’on ne parle pas d’un problème qu’il n’existe pas ou qu’il disparaît. Garder quelque chose au fond de soi n’arrange rien. Au contraire, même. Il est réprimé, bien au fond, et il grossit, il se renforce, et il finit par nous exploser en pleine tête.

On ne va pas maintenant débattre sur pourquoi les statistiques raciales devraient être habilitées, ou pas, en France. Ce n’est pas forcément le sujet, et ce serait trop long.

Si on reste sur la classe donc, parce que là il y a des études françaises, on se rend compte que ce sont toujours les classes sociales privilégiées qui ont accès aux grandes études, et donc aux postes de direction, et donc à la tête de ce pays. C’est ce qu’on appelle l’élitisme.

Qu’est-ce que l’antonyme d’élitisme ? Égalitarisme. Lol.

Voici une étude Insee sur le sujet.

On remarque aussi qu’en plus des classes supérieures qui sont favorisées en termes d’études, ainsi que les membres / descendants du Clergé. Un vestige de la culture chrétienne du pays, qui témoigne du fait que ce pays, ou plutôt son système, favorise toujours celleux qu’il considère comme les siens, et maintient certains privilèges.

Mais bref, avec ce genre d’études, on se rend compte que

Les femmes, elles, si elles sont plus diplômées que les hommes, perçoivent malgré tout des salaires moins élevés. Ce sont souvent elles qui sont à la tête de familles mono-parentales qui est souvent un statut précaire, et d’autres choses.

Qu’est-ce que ça veut dire ? Cela veut dire par exemple que le simple fait d’être une femme donne moins accès à des salaires élevés et donc à l’autonomie financière, l’élévation sociale. Que naître dans une famille pauvre d’ouvriers donne moins accès aux études supérieures.

Et, on a pas accès aux statistiques raciales en France, mais on sait grâce aux études américaines, et juste en regardant la démographie des banlieues qu’être racisé-e, enfant d’immigré, est un frein à l’accès à l’éducation et à la richesse aussi.

Donc, racisme, classisme, et sexisme sont liés. Et que les trois s’entrecroisent, il y a des intersections.

En parlant de validisme, lié au handicap.

En France, 95% des adultes autistes sont sans-emploi par exemple. Donc être autiste, c’est presque toujours synonyme d’être précaire. Donc classisme. Femme autiste ? Misogynie et patriarcat avec 9 femmes autistes sur 10 victimes de violences sexuelles. C’est 3 fois plus de risque que les femmes non-autistes. Ce qui est, je le rappelle : 12% des femmes au global et 43% qui ont subi des agressions sexuelles. Et évidemment ce sont les chiffres officiels, on sait à chaque fois que c’est bien plus dans la réalité.

Le classisme, le racisme, le handicap et le patriarcat vont ensemble. Ils s’entrecroisent et façonnent de nouvelles formes de domination, discriminations et violences.

Voilà pourquoi on met l’emphase sur l’intersectionnalité. Parce que cela permet de mettre en visibilité des discriminations autrement invisibilisées. Et invisibiliser ça veut dire pas de solution.

Le mythe de l’universalisme, qui, en réalité, invisibilise

En France, on est beaucoup dans un délire d’universalisme. Ce depuis les philosophes des Lumières, et bien sûr, la Déclaration des Droits de l’Homme.

D’après Wikipédia, l’encyclopédie libre la plus connue d’internet, l’universalisme, en philosophie, c’est l’idée qu'il existerait un système universel, une vérité qui régirait les relations entre les humains, façonné par la raison humaine.

L’universalisme moral, est la position méta-éthique selon laquelle certains systèmes d'éthique, ou une éthique universelle, s'appliquent universellement, c'est-à-dire pour « tous les individus dans la même situation », indépendamment de la culture, de la religion, de la nationalité, de la sexualité, de l'inscription sociale ou de toute autre caractéristique distinctive.

Et l’universalisme républicain, notre “petit bijou” à la française, part de cette idée pour dire que la république est le modèle idéal et universel, adapté à toustes, dans lequel tous les citoyens sont égaux en droits et unis.

Ce qui est assez cocasse, c’est que la République française et son universalisme écartait du statut de citoyen, les femmes et les immigrés à l’époque. Il ne faut donc pas être un génie pour voir l’hypocrisie de ce système dès ses débuts, et comprendre pourquoi aujourd’hui, tout le monde est loin d’être égal en droit et uni aujourd’hui.

Certain-es sont plus des citoyens que d’autres apparemment, lorsque l’on voit que le droit à se marier n’était pas pour tous il y a encore quelques années, que les personnes handicapées n’ont pas tous les droits. Apparemment certain-es sont plus des citoyens que d’autres.

cf. Orwell et La ferme des animaux

Et, même lorsque en théorie, les lois existent pour assurer une certaine égalité, la pratique est différente car des discriminations persistent et ne sont pas toujours punies. Les préjugés, stéréotypes et traces de tout cela restent. Et donc, en pratique, l’accès au logement, aux études, à l’emploi et à la richesse par exemple, n’est pas juste.

Et ne pas en parler, ne pas suivre tout cela, c’est cacher le problème sous le tapis. C’est invisibiliser ces injustices. Mais j’en reviens au débat sur les statistiques sociales donc on va s’arrêter ici.

L’intersectionnalité, les luttes intersectionnelles sont nécessaires pour rendre visibles des discriminations croisées subies par les personnes le plus marginalisées de notre société, mais aussi, pour appréhender les systèmes de domination comme le patriarcat, le capitalisme, le racisme dans leur globalité. Pour pouvoir les démanteler complètement, sans n’oublier aucun recoin. Qu’il n’y ait pas de vestiges.

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